Paul Gérin-Lajoie aurait eu cent ans aujourd’hui. Il est né le 23 février 1920 dans une illustre famille qui compte notamment deux pionnières du féminisme, Marie Gérin-Lajoie et Marie Lacoste.
Il décroche d’abord un doctorat en droit constitutionnel à l’Université d’Oxford, puis se porte candidat vedette dans « l’équipe du Tonnerre » qui remporte les élections de 1960. Aussitôt élu, Jean Lesage le nomme ministre de la Jeunesse, puis premier titulaire du ministère de l’Éducation, un rôle névralgique à un moment clé de l’histoire du Québec. Paul Gérin-Lajoie entreprend alors une vaste réforme du système d’éducation, du primaire à l’université. Il voit ainsi à concrétiser le train de mesures recommandées par le fameux rapport Parent: scolarisation obligatoire jusqu’à 16 ans, laïciser le réseau scolaire, réformer le vieux cours classique pour l’arrimer au marché du travail. De plus, il souhaite accroître la scolarisation des jeunes filles et jeter un pont entre l’école et l’université: les cégeps. Figure politique centrale de la Révolution tranquille, la place de Gérin-Lajoie dans l’histoire était d’emblée acquise. Sa contribution au Québec moderne n’allait cependant pas s’arrêter là.
La doctrine Gérin-Lajoie
Une simple province canadienne peut-elle se faire entendre et agir sur la scène internationale? Oui, répond Paul Gérin-Lajoie: les compétences exclusives conférées au Québec par la Constitution canadienne doivent lui permettre de les exercer partout, y compris sur les forums mondiaux.
La doctrine Gérin-Lajoie fut formulée une première fois en avril 1965, lors d’un discours prononcé à Montréal devant le corps consulaire. Alors vice-premier ministre du Québec et tout premier ministre de l’Éducation, Gérin-Lajoie suggère, puisque le Québec possède les pouvoirs exclusifs en matière d’éducation, de santé et de culture, qu’il puisse donc aussi les exercer à l’étranger. Cela permettrait de nouer des ententes par exemple, ou même de conclure des traités, sans avoir à subir la tutelle du gouvernement fédéral. Gérin-Lajoie résume lui-même sa doctrine par cette formule simple: « le prolongement international des compétences internes du Québec ».
Depuis, la doctrine Gérin-Lajoie est le fondement de la politique internationale du Québec et sert toujours de bases aux revendications du Québec en matière de politique étrangère. Dès 1968, le Québec participe à la Conférence internationale des ministres de l’Éducation à Libreville au Gabon, et ce, en l’absence du gouvernement canadien. Le premier ministre canadien Pierre Elliott Trudeau s’en offusque et verra dorénavant à ce que les représentants du Québec soient toujours « encadrés » au sein d’une délégation canadienne. En riposte, le Gouvernement du Québec fait adopter en 2000 la loi 99 qui précise les prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec. La doctrine Gérin-Lajoie prend alors force de loi : le gouvernement du Québec a désormais l’obligation d’exercer ses pouvoirs, y compris à l’étranger, dans les domaines qui lui sont conférés par la constitution (chapitre E-20.2, articles 6 et 7). En 2004, le Premier ministre libéral Jean Charest réaffirme lui-même la doctrine Gérin-Lajoie lors d’un discours devant les étudiants de l’ENAP : « […] il revient au Québec d’assumer, sur le plan international, le prolongement de ses compétences internes. […] Ce qui est de compétence québécoise chez nous est de compétence québécoise partout. »
Après son passage en politique, Paul Gérin-Lajoie joue lui-même un rôle de premier plan dans le domaine de l’aide internationale, d’abord en 1970 à titre de président de l’Agence canadienne de développement international (ACDI), puis comme grand philanthrope via la Fondation Paul Gérin-Lajoie à compter de 1977, une organisation vouée à l’alphabétisation des enfants des pays les plus pauvres. Le volet sans doute le plus connu de la Fondation est la dictée annuelle PGL, diffusée en français dans le monde entier. Mort en 2017 à 98 ans, Paul Gérin-Lajoie est l’un des derniers grands bâtisseurs de la Révolution tranquille à nous quitter : sa réforme de l’éducation et l’affirmation internationale du Québec constituent toujours deux outils précieux à l’édification du Québec moderne.
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