Drôle, sensible et déroutant, tout en restant accessible et proche des gens, le nom de Jacques Ferron disparait pourtant peu à peu des mémoires. C’est que l’homme et l’œuvre restent inclassables et échappent aux catégories; à la fois médecin des pauvres, thérapeute, conteur, romancier, dramaturge, Ferron fut aussi politicien, épistolier et même négociateur du Front de libération du Québec (FLQ). Certains ont même classé le fondateur du Parti Rhinocéros parmi les humoristes! Le centenaire de la naissance du « bon docteur Ferron » est donc l’occasion de célébrer cet esprit pétillant, sans doute un des écrivains le plus doué de sa génération.
Ferron est né à Louiseville en 1921. Avec la Gaspésie et Longueuil, la Mauricie servira plus tard de décor à la plupart de ses récits. Dilettante, mais trop brillant pour demeurer oisif, il devient médecin en 1945 : « Ce sera le médecin qui entretiendra l’écrivain. Je serai mon propre mécène », disait-il. En 1949, il s’établit à Ville Jacques-Cartier, près de Longueuil, où règne alors une misère sordide et où Ferron est consterné par l’état de délabrement du français qui se décompose en joual au contact de l’anglais. Le docteur Ferron soigne donc les pauvres gratuitement tandis que son étonnante famille le met en contact avec les idées socialistes et nationalistes du temps : il est le frère de l’écrivaine Madeleine Ferron, du médecin et humaniste Paul Ferron et de la peintre Marcelle Ferron qui l’introduit auprès des autres signataires du Refus global.
Entre les gens qu’il soigne et sa vie publique d’écrivain militant, une œuvre prend forme; une œuvre certes magnifique mais éparpillée. Contes, romans, articles, chroniques et pièces de théâtre se succèdent sans que l’on puisse décider le genre où l’écrivain-médecin excelle le mieux. L’ambivalence se lit aussi dans les personnages de ses Contes d’un pays incertain (1962), tiraillés entre tradition et modernisme. Le ton aussi hésite entre deux époques, à cheval entre le conte québécois du XIXᵉ siècle et le roman psychologique : « le dernier d’une tradition orale, et le premier de la transcription écrite. » Le style enfin varie constamment : tantôt intimiste chez l’attendrissante Tinamer de Portanqueu de L’Amélanchier (1970), tantôt patriotique chez le tonitruant bouffon des Grands soleils (1968).
Immanquablement vint la consécration : prix du Gouverneur général du Canada (1962), France-Québec (1972), prix Duvernay (1972), prix Athanase-David (1977). Plutôt que de mener une ronflante carrière littéraire, Ferron consacre sa notoriété à l’action politique. Candidat au NPD aux élections fédérales de 1958, il est déçu de son expérience et fonde en 1963 le Parti Rhinocéros afin de ridiculiser les élections canadiennes et de rappeler que le seul pays que nous n’aurons jamais est ici au Québec. Le discours absurde et sarcastique du Parti Rhinocéros le rend vite populaire auprès des jeunes.
Ferron en est « l’Éminence de la Grande Corne » jusqu’en 1979. Le Parti vivotera tout de même après jusqu’en 1993. Candidat indépendantiste aux élections de 1966, Ferron affronte Bona Arsenault, député depuis 25 ans. Son slogan électoral est alors un chef-d’œuvre d’ironie : « Il faut que Bona parte ! ». En pleine crise d’Octobre, il se déclare « négociateur pour la cellule Chénier du FLQ » sans que l’on sache s’il ironise puisqu’à ce moment, il n’y avait aucune négociation avec les felquistes et l’armée canadienne occupait toujours le Québec.
Ferron travaille ensuite deux ans dans un hôpital psychiatrique. Ce passage le touche profondément et le pousse à délaisser l’action politique pour se préoccuper davantage du sort des plus vulnérables. Il militera tout de même inlassablement pour l’avènement d’un pays québécois qu’il espère libre, solidaire, français et à l’écoute des gens, et en particulier des pauvres, des oubliés ou des fous !
Jacques Ferron a créé un univers littéraire foisonnant, truffé de néologismes et de références culturelles, tout en demeurant drôle et à la portée de tous. En somme, un grand auteur de chez nous à découvrir ou à redécouvrir en 2021.
Source : publication FB de la page « Jacques Ferron, écrivain québécois (1921-1985) »