L’histoire de la Nouvelle-France regorge d’audacieux aventuriers, de religieuses dévouées et de colons opiniâtres, mais fort peu d’administrateurs de haut-vol, à la fois méticuleux et visionnaires. Jean Talon fut en somme l’exception qui confirme la règle : le plus remarquable gestionnaire que la France ait fournit à sa colonie d’Amérique. En 1665, la Nouvelle-France est en piteux état. L’économie est chétive, la traite des fourrures au plus bas et les femmes absentes tandis que les hommes affrontent les Iroquois. Le roi Louis XIV et son ministre Colbert entreprennent alors de réorganiser la colonie et d’y envoyer un jeune intendant à la fois énergique et efficace.
À son arrivée dans la colonie, Jean Talon est doté des pouvoirs étendus sur l’administration, la justice, la police et les finances, « en Canada, Acadie, île de Terre-Neuve et autres pays de la France septentrionale ». Son activité sera dès lors débordante et peu de domaines échapperont à son action bienfaitrice. Il voit d’abord à équiper et à soutenir l’armée du général Tracy qui mènent deux expéditions en Iroquoisie afin de sécuriser la colonie. Il doit aussi d’urgence organiser la justice, créer des tribunaux et convoquer le Conseil souverain, quitte à présider lui-même les procès.
Mais Jean Talon a surtout en tête un ambitieux plan de peuplement et de diversification économique pour que la colonie puisse subvenir à ses propres besoins et même approvisionner la France. De 1665 à 1672, 1500 colons débarquent au pays, la plupart des hommes de métiers. Talon convainc aussi 800 soldats français de se fixer dans la colonie, puis implore la France de leur fournir des épouses, « pas des citadines, mais des campagnardes rompues aux devoirs de la ferme». En sept ans, plus de 1000 « filles du roi » trouvent mari dans les jours suivant leur descente de bateau. Des amendes sont imposées aux couples sans enfant tandis que des primes sont offertes pour le douzième enfant de chaque famille. Talon se consacre avec passion au peuplement, si bien que la population double en sept ans, passant de 3 200 à 7 600 habitants.
Talon fait aussi aménager le territoire en fondant trois bourgs et en concédant une soixantaine de seigneuries le long du fleuve afin d’y densifier le peuplement. En plus du blé, il introduit la culture du chanvre, du lin et même du houblon pour alimenter des manufactures, notamment une brasserie qu’il fonde à Québec en 1670.
Tout au long de son administration, Talon prit personnellement contact avec les habitants, entrant dans leurs maisons et s’entretenant avec eux sur leurs besoins. En revanche, l’intendant hyperactif dérange une classe de privilégiés : bureaucrates, Jésuites, marchands ainsi que le gouverneur qui accusent Talon de menacer leurs chasses gardées. L’intendant put néanmoins compter sur le soutien de l’entourage du roi qui voit bien les effets bénéfiques produits par chacune de ses initiatives.
Louis XIV et Colbert persuadent donc Talon de consacrer un second mandat. De retour à Québec, le 18 août 1670, il y a aujourd’hui 350 ans, Jean Talon se consacre davantage aux relations extérieures de la colonie, et en particulier à l’exploration du continent pour s’enquérir « soigneusement s’il y a par lacs et rivières quelque communication avec la mer du sud, qui sépare ce continent de la Chine »2. Sous sa gouverne, la moitié de l’Amérique du Nord passe sous l’autorité de la France.
« L’incomparable intendant » quitte définitivement Québec en 1672. À son départ, le Canada était devenu un immense chantier. Cet effort ne fut cependant pas soutenu par ses successeurs; l’avenir de la Nouvelle-France était néanmoins assuré.
Jean Talon a mené une vie de célibataire rangée, si bien qu’il mourut là où il était né 68 ans plus tôt, à Châlons-sur-Marne où un monument rend hommage à ce grand précurseur du Québec moderne.