« Le Front de libération du Québec n’est ni le Messie, ni un Robin des Bois des temps modernes ».. Ajoutons que ce ne fut pas non plus une bande d’écervelés surgissant dans l’Histoire. Car s’il faut bien sûr déplorer la violence déployée par les felquistes, il importe tout autant de situer cette violence dans le contexte de l’époque : la crise d’Octobre se produit en effet au confluent de plusieurs autres crises auxquelles la Révolution tranquille, essoufflée, n’arrive alors plus à répondre.

En octobre 1970, le Québec traverse d’abord une grave crise sociale causée par l’infériorité économique des francophones. En 1966, une étude fédérale révélait que le salaire moyen d’un anglophone était de 32% supérieur à celui d’un francophone et que, tous groupes ethniques confondus, les Canadiens français étaient les plus mal payés, juste devant les Autochtones. Les syndicats sont alors vent debout sur cet enjeu. Depuis qu’elles ont syndiqué la fonction publique en 1962, les centrales syndicales sont plus solides et s’engagent à fond pour la justice sociale et l’indépendance du Québec. Les grèves sont si nombreuses à l’orée de 1970 qu’on parle alors de « climat révolutionnaire ».

Cette crise sociale se double d’une crise linguistique, surtout à Montréal, où l’affichage unilingue anglais fleurit, où l’école anglaise ouvre toutes grandes ses portes aux nouveaux arrivants et où les francophones doivent partout adopter l’anglais pour s’élever socialement. La question linguistique préoccupe alors des millions de Québécois, soumis à toutes sortes d’humiliations qui les ramènent à leur condition de colonisés.

Ces crises se multiplient ensuite d’un profond conflit entre générations : en 1960, 44% de la population du Québec a moins de 20 ans. Cette imposante cohorte de jeunes bouleverse les structures traditionnelles, force la refonte du système d’éducation, fait pression sur le marché du travail et provoque une véritable révolution culturelle abordant sans complexe des enjeux tels que la drogue, la sexualité, la religion, mais également le système capitaliste et colonial tout entier. Le mouvement étudiant lutte en particulier pour démocratiser l’accès à l’éducation supérieure, quitte à faire de McGill 

 

une université française! Fondée en 1963, l’Union générale des étudiants du Québec (UGEQ) devient vite une organisation à la fois radicale et bien structurée où bon nombre de felquistes feront leurs classes.

À ces perturbations s’ajoute un contexte international explosif. En 1970, nous sommes en pleine guerre du Viêt Nam, les « ghettos » noirs américains sont à feu et à sang et la guérilla affronte les dictatures en Amérique latine et en Afrique. Ces luttes inspirent le FLQ, qui empruntera leur rhétorique et leurs méthodes, que ce soit celles des « Black Panthers » aux États-Unis, du castrisme cubain ou du Front de libération nationale d’Algérie. À l’automne de 1970, le FLQ  comptait d’ailleurs s’inspirer des Tupamaros de l’Uruguay en kidnappant un représentant du colonialisme britannique et un représentant du capitalisme américain. Leur choix s’arrêtera finalement sur un attaché commercial de Grande-Bretagne et le ministre québécois du Travail…

L’enlèvement de James Richard Cross, lundi 5 octobre 1970, il y a aujourd’hui 50 ans, plonge le Québec dans l’une des plus graves crises de son histoire. La Loi sur les mesures de guerre déclenchée la semaine suivante et la mort de Pierre Laporte ne feront qu’exacerber les tensions. Désormais dotée de pouvoirs étendus, la police procède à l’arrestation de 502 personnes soupçonnées de sympathie avec le mouvement clandestin, tandis que l’armée canadienne marche sur le Québec et campe devant les édifices et les résidences qui pourraient servir de cibles aux terroristes. La crise prend officiellement fin en décembre avec l’arrestation de tous les ravisseurs, mais beaucoup de questions demeurent jusqu’à ce jour, en particulier en ce qui aura eu trait à sa gestion.

La crise d’Octobre 1970 mettra fin d’un trait décisif à la Révolution tranquille. Que ce soit à cause des attentats du FLQ ou de la réponse brutale d’Ottawa par le gouvernement de Pierre Elliot Trudeau, elle rompt avec le climat d’euphorie et de relative unanimité qui avait jusque-là caractérisé la Révolution tranquille.

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