Né à Montréal le 4 août 1921, le Rocket traverse le firmament à un moment bien précis de notre histoire. Exclu des affaires et de l’éducation supérieure depuis l’échec des patriotes en 1837, notre peuple trouve longtemps ses modèles parmi les plus humbles, surtout remarquables par leur force ou leur adresse physiques : Jos Montferrand, Louis Cyr et Maurice Richard. La notoriété de ce dernier sera d’autant plus grande que sa carrière coïncide avec l’apparition des médias de masse, permettant à des millions de Québécois de suivre en direct ses exploits rapportés par les journaux, la radio et la télévision.

Maurice Richard c’est d’abord, entre 1943 et 1960, des dizaines de records, 544 buts en carrière, dont 50 buts en 50 matchs, huit Coupes Stanley, dont cinq consécutives, toutes acquises avec le Canadien de Montréal.

Les records et les statistiques sont cependant loin d’expliquer seuls la légende Richard. Il faut pour cela invoquer sa rage de vaincre et sa capacité à surmonter les épreuves, notamment d’innombrables blessures qui ne l’ont jamais empêché de retourner au jeu. Le 28 décembre 1944, épuisé après une longue journée de déménagement, il marque malgré tout cinq buts et délivre trois passes lors d’une victoire contre les Red Wings de Détroit : « on aurait dit qu’il portait le sort de tout le Québec sur ses épaules », tel un Christ portant sa croix, dit la chanson de Pierre Létourneau. Car Richard subit aussi la discrimination et incarne parfaitement la frustration du peuple québécois, déclassé sur le plan économique au nom de la prédominance de l’anglais, un sentiment que traduit parfaitement l’émeute de mars 1955.

« On a tué mon frère Richard »
Le Rocket avait été suspendu pour le restant de la saison pour avoir frappé un arbitre, le privant du championnat des marqueurs et, le cas échéant, frustrant cette année-là le Canadien de la Coupe Stanley. Pour ajouter à l’affront, le
président de la LNH, Clarence Campbell, assiste au match suivant à Montréal, le jeudi 17 mars. Une foule évaluée à 10 000 personnes manifeste alors devant le Forum pour dénoncer la décision de la Ligue, tandis qu’à l’intérieur éclate une bombe lacrymogène qui interrompt le match dès le premier entracte. Les spectateurs évacués rejoignent alors les manifestants en scandant : « Vive Richard ! », « Richard le persécuté », « Pas de Richard, pas de coupe » et « Injustice au Canada français ». Bientôt, des vitrines sont fracassées, des commerces sont saccagés et des voitures sont renversées. Finalement, l’affaire fait 37 blessés et des dizaines de personnes sont arrêtées et mises à l’amende.

Le lendemain, André Laurendeau écrit, On a tué mon frère Richard : « On prive les Canadiens français de Maurice Richard. On brise l’élan de Maurice Richard qui allait établir plus clairement sa supériorité. Et cet « on » parle anglais […].  » Pour l’éditorialiste du Devoir, l’émeute du Forum fait figure de symbole, cristallise la colère de tout un peuple et annonce la fin des humiliations.

En accédant à la suprématie dans son sport, Maurice Richard avait insufflé l’espoir et la fierté aux Québécois, forgeant ainsi le mythe du Québécois indomptable qui s’élève au-dessus de sa condition de modeste ouvrier pour accéder au temple de la renommée par son courage.

Or, le Québec s’était profondément transformé entre temps et l’annonce de la retraite du Rocket en 1960 coïncide avec l’avènement de l’équipe de Jean Lesage et la Révolution tranquille. Les Québécois allaient devoir relever d’autres défis qui concernaient désormais l’éducation, l’économie, les arts et la science. Ils n’oublieront cependant jamais le modeste joueur montréalais qui, par sa ténacité et son ardeur, avait indiqué la difficile voie de l’émancipation. Le prouvent les nombreux hommages et manifestations d’amour dont Maurice Richard fera l’objet une fois hissé son fameux chandail numéro 9 au sommet du Forum, puis du Centre Bell. Bien malgré lui, cette légende du hockey était devenue un acteur essentiel de l’histoire du Québec moderne.

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