historique

L’époque des patriotes


À la veille des Rébellions des Patriotes, le brillant journaliste Ludger Duvernay fonde le 24 juin 1834 la première Société Saint-Jean Baptiste. Elle a pour but de réunir des gens autour d’un même idéal, celui de promouvoir la solidarité du peuple du Bas-Canada face aux revendications démocratiques formulées par l’As­semblée législative contre le pouvoir colonial bri­tannique. Vision­naire et sympathisant à la cause des Canadiens français, Duvernay pose ainsi les bases de ce qui deviendra ultérieurement la Fédé­ration des Sociétés Saint-Jean Baptiste. Dans un même élan, le directeur du journal La Minerve décide, de concert avec ses acolytes, de faire du 24 juin la Fête nationale des Canadiens français. Ces célébrations nationales se répandent rapidement dans tout le pays. Malheu­reusement, l’écrasement des Rébellions par l’armée anglaise viendra mettre un terme à ces mani­festations pendant plusieurs années.

Après les événements de 1837-1838, les Canadiens français doivent s’unir pour éviter l’assimilation. En 1840, l’Acte d’union est proclamé. Les députés du Haut-Canada et du Bas-Canada sont désormais réunis au sein du même parlement où les franco­phones sont en minorité. L’anglais est proclamé seule langue officielle et l’usage du français est proscrit dans les institutions gouver­nementales. Dans les années qui suivent, l’immi­gration britannique s’intensifie dans le but avoué d’assi­miler les Canadiens français. Inutile de dire que dans ce contexte, les Sociétés Saint-Jean Baptiste se multiplient à travers la province. Associations philanthro­piques dont la devise commune est « nos ins­titutions, notre langue et nos lois », elles ont pour objectif de créer des liens avec tous les Canadiens français. Dans leurs pa­roisses, leurs villes et leurs villages, les franco­phones de l’époque trouvent en leur Société Saint-Jean Baptiste un lieu de diffu­sion et d’affirmation de leur langue et de leur culture. C’est l’époque des grands rassemblements. Les représentants de diverses So­ciétés se rencontrent pour faire le point, évaluer la situation et discuter des moyens à prendre pour défendre les intérêts nationaux des Canadiens français.

Naissance de la Fédération québécoise

 

Dans les années 1940, diverses Sociétés locales se regroupent sur une base diocésaine. En 1945-46, la plupart des Sociétés Saint-Jean-Baptiste du Québec et de l’Ontario décident de se fédérer. La Fédération canadienne connaît toutefois une brève existence; des différences d’opinions apparaissent chez les dirigeants. Dès 1947, réunies en congrès à Sherbrooke, neuf Sociétés québécoises – celles de Québec, Sher­brooke, Trois-Rivières, Rimouski, Saint-Hyacinthe, Nicolet, Hull, Saint-Jean et Chicoutimi – décident de fonder leur propre fédération. Ce regroupement deviendra plus tard le Mouvement national des Québécois (1972) puis le Mouvement national des Québécoises et Québécois (1991).

Sitôt fondée, la Fédération des Sociétés Saint-Jean-Baptiste du Québec participe à une vaste cam­pagne qui mènera à l’adoption, le 21 janvier 1948, du fleurdelisé comme drapeau officiel du Québec. La même journée, peu avant 15 h, ce nouveau symbole national flotte pour la première fois sur l’Hôtel du par­lement. Le fleurdelisé devient rapi­dement un puissant symbole d’appar­tenance au Québec.

Virage identitaire

 

Les états généraux de 1967 et 1969 ont permis de se rendre compte de l’ampleur des pouvoirs à récupérer par le Québec et aussi de l’état précaire des droits linguistiques des franco­phones dans les provinces anglo­phones. Au cours des années 1970, la Fédération s’engage donc fermement dans les grandes batailles linguis­tiques.

Déjà en 1969, la Fédération participe à la création du Front du Québec français, un organisme formé de près de 250 associations francophones qui s’opposent au Bill 63. En 1971, à la demande et sous l’élan de sa Société affiliée de Montréal, elle participe à la création du Mouvement Québec français (MQF) aux côtés des cen­trales syndicales CSN, FTQ, CEQ, UPA, AQPF et l’Alliance des pro­fesseurs de Montréal. Le MQF mène, en 1974, une lutte acharnée contre le Bill 22 et s’implique activement dans les débats qui mèneront à l’adoption, en 1977, de la Charte de la langue française. Éga­lement en 1971, le MNQ prend l’initiative de créer un front commun pour inciter le gou­vernement du Québec à dire non à la Charte de Victoria. L’engagement du MNQ porte fruit; Robert Bourassa alors premier ministre se dédit et ne signe pas la Charte piégée.

À cette époque d’effervescence na­tionale et de transformations sociales, le Québec connaît aussi un mou­vement de laïcisation qui s’étend à toutes les sphères de la société. La Fédération des Sociétés Saint-Jean-Baptiste n’échappe pas aux chan­gements qui s’opèrent à cette période. Elle adopte ainsi en 1972 le nom de Mouvement national des Québécois, marquant un changement profond dans ses références iden­titaires. Le natio­nalisme ethno­confessionnel est abandonné au profit d’une vision territoriale de la communauté poli­tique québécoise. À partir de ce moment, il n’est plus question des Canadiens français, mais plutôt des Québécois. D’un mouvement à ca­ractère défensif, la Fédération se transforme en un réel mouvement d’affirmation nationale.

En 1976, le Parti québécois prend le pouvoir. La perspective d’un premier référendum sur l’avenir constitu­tionnel du Québec incite le MNQ à se lancer dans une campagne pré­référendaire. Le Mouvement crée des comités, organise des con­férences et des débats publics et invite le peuple à s’opposer aux au­diences publiques de la Com­mission Pépin-Robarts sur l’unité canadienne.

Les batailles politiques des années 1970 révèlent la force de ras­semblement du MNQ autour des grands enjeux nationaux. Des liens plus étroits avec les milieux pro­gressistes – syndicats, groupes popu­laires et associations diverses – l’amènent à s’intéresser à des ques­tions comme la syndi­calisation, la coo­pération et le déve­loppement régional. C’est aussi dans la décennie 70 que le MNQ adhère à la Con­férence des peuples de langue française, déve­loppant ainsi des liens de soli­darité au sein de la franco­phonie internationale.

la fédération relancée

 

Le MNQ et ses Sociétés affiliées participent activement à la campagne référendaire de 1980. La période qui suivra la défaite sera particulièrement difficile. Les militants des organi­sations souverainistes sont épuisés, déçus, démoralisés. Le climat de morosité post-référendaire n’épargne aucun groupe. Les Sociétés nationales et Saint-Jean-Baptiste, au diapason de la population, sont essoufflées. De plus, il y a des ten­sions parmi les membres quant aux orientations politiques qu’il convient désormais de privilégier. Le Mouvement réussit quand même à coordonner des opérations contre le rapatriement de la constitution cana­dienne, mais le moral n’y est pas… Au congrès de 1982, à la suite d’une tournée de consultation, les Sociétés adoptent même une ré­solution de dissolution de la Fédération.

Les bureaux sont alors fermés et le personnel remercié. Néanmoins, les Sociétés optent pour la désignation d’un porte-parole, soutenu par une équipe réduite. Malgré des ressources limitées, sans siège social et sans budget, le MNQ reste tout de même présent dans le débat politique : tenue d’assises régionales et nationales sur la souveraineté, interventions lors des commissions parlementaires, ren­contres inter­nationales de la franco­phonie, tournées, etc.

L’année 1984 marque le 150ᵉ anniversaire de la fondation de la Société Saint-Jean-Baptiste par Ludger Duvernay. Pour l’occasion, le gouvernement du Québec confie au MNQ la coordination de la Fête nationale du Québec. Ce mandat contri­bue grandement à remettre le MNQ sur la bonne voie. 

En 1986, le Mouvement lance la campagne nationale « Québec, je t’aime en français » et distribue 250 000 sacs à travers le Québec. En 1988, il organise une tournée na­tionale sur le thème « Ça va mal à Montréal, et chez vous, comment, ça va ? » Durant les trois semaines que dure cette opération, le MNQ reçoit 136 mémoires. L’année suivante, il participe à l’Opération Québec fran­çais et à la Grande Marche du 12 mars contre le projet de loi 178. Il publie également 101 questions sur la situation linguistique. À la même période se tient une campagne de souscription en vue d’ériger une statue en bronze de Félix Leclerc, au parc Lafontaine à Montréal.

La deuxième moitié de la décennie est ainsi celle de la consolidation. En 1989, le MNQ fait l’acquisition d’un siège social et réembauche du personnel. Le Mouvement acquiert alors non seulement un immeuble, mais aussi la confiance des Sociétés affiliées. Après une période de dé­sillusions, de questionnements et de repositionnement, le Mouvement est de nouveau sur les rails pour dé­fendre les droits et intérêts de la société québécoise qui reprend aussi pro­gressivement confiance en l’avenir.

En 1990, le MNQ fait campagne contre l’Accord du Lac Meech puis joint ensuite sa voix à celle de tous ceux qui réclament la souveraineté du Québec. Le MNQ participe aussi ac­tivement à la Commission sur l’avenir politique et constitutionnel du Québec (Bélanger-Campeau) en présen­tant le mémoire « Sans les moyens d’un pays complet, le Québec ne fera bientôt plus le poids ». Par la suite, il participe à la création de Mouvement Québec dont l’objectif est de faire pression sur le gouvernement de Robert Bourassa afin que celui-ci donne suite aux recommandations de la Commission.

Mouvement Québec ne réussit pas à influencer le gouvernement libéral qui accepte finalement, à l’été 1992, de nouvelles offres fédérales. Les orga­nismes de la coalition, dont le MNQ, s’unissent à nouveau pour faire campagne contre l’Accord de Char­lottetown. L’expérience de Mouve­ment Québec permet de créer de nouvelles habitudes de travail entre différents organismes de la société civile. Leur participation active aux discussions sur l’avenir du Québec a pour effet d’accentuer le contenu social du projet de souve­raineté. En plus du dossier constitu­tionnel, les questions linguis­tiques et démo­graphiques retiennent l’atten­tion. En 1993, le MNQ participe à la mise sur pied de la Coalition nationale contre le projet de loi 86. Malgré tous les efforts de la Coalition, le projet de loi est adopté et a pour effet d’amoindrir consi­dérablement la Charte de la langue française. Durant la même période, il tient une vaste consultation à travers le Québec qui se conclut par la publication du Manifeste pour une politique globale de la population.

À partir de 1994, le MNQ accorde plus d’importance aux questions d’éducation et de citoyenneté. Il se préoccupe plus que jamais des rapports entre les Québécois de toutes origines et il poursuit, dans ses prises de position, des objectifs d’ouverture à la diversité. Dans cette optique, il participe à différentes com­missions parle­mentaires, notam­ment aux États généraux sur l’éducation en 1995 où il demande la déconfes­sionnalisation des struc­tures scolaires.